Chronique du roman Sf : Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski .

Dans le sillage de l’excellent "Gagner la guerre" de Jean-Philippe Jaworski, j’ai continué à lire des romans construits à partir de l’hypothèse de l’efficience de la magie ou de la sorcellerie.

Ainsi, Jonathan Strange & Mr Norrell de Susanna Clarke a-t-il constitué une lecture fleuve pour cette fin d’été, et a occasionné quelques rapides réflexions.

Si l’on reprend les éléments distinctifs avancés par Guy Lardreau dans son "Fictions philosophiques et science-fiction", on peut faire le départ entre roman de science-fiction et (ce qu’on appellerait aujourd'hui) fantasy selon qu’il existe, à l’origine de l’œuvre, un mur séparateur entre monde et connaissance, ou non. La science-fiction la plus audacieuse n’aura jamais l’audace ultime d’affirmer ne plus se baser sur la moindre théorie, donc n’avoir plus le moindre écart par rapport au monde, audace que la fantasy, ou disons les romans incluant l’efficience de la magie dans leur trame, s’offrira joyeusement.

Dire qu’en science-fiction il y a encore de la théorie, c'est dire que la théorie n’est pas le monde.

Dire qu’en romans basés sur la magie, il n’y a plus de théorie, c'est dire que la théorie s’est fondue dans le monde, dans sa structure la plus profonde, et que la théorie ultime de tout ce qui est, à savoir ce qu’en philosophie on appelle plus ou moins précisément l’ontologie, n’est rien d’autre que la magie.

Exemple flagrant : dans Gagner la guerre, au beau milieu d’un déluge de scènes magnifiques, d’intrigues de palais toutes florentines, le tout illuminé par un style d’une justesse et d’une fluidité confondantes, on voit surgir une explication sur le fonctionnement de la magie qui sollicite la notion de plérôme, fait intervenir des hypothèses d’interaction quasi universelle entre tous les étants, définit la « magie » en termes d’harmonie. Bref : on est d’emblée immergé dans l’Absolu, avec lequel on a couramment commerce (Sassanos et la sorcière tout spécialement), le vocabulaire employé renvoyant à la théologie, et à une théologie positive. Jamais l’Absolu ne s’enfuit, ne se voile, ne s’érode réellement.
C'est là ce qui pose bien problème : la fantasy peut-elle dès lors avoir le sens de l’Histoire, si jamais celle-ci, au regard de la théologie d’origine chrétienne dont les principes généraux de la fantasy s’inspirent souvent en les mélangeant à des croyances et à des pratiques païennes, raconte bien plutôt la dispersion, la fuite, le voilement irrémédiables de l’Absolu, son éviction définitive hors de ce monde ? Qu’un roi puisse faire retour, comme dans Le Seigneur des Anneaux, que l’origine de tout pouvoir (et donc de tout désir, selon un lien eidétique entre pouvoir et désir que le même Guy Lardreau, avec Christian Jambet, médita brillamment jadis dans L’Ange – Une ontologie de la révolution) puisse être redonnée, cela ne marque-t-il pas l’absence d’historicité, ou la fin de l’Histoire ?