Décider ensemble

De l'importance de penser la prise de décision
Dans une organisation ou un collectif, de très nombreuses décisions sont prises, sans que celles-ci soient toujours explicitées pour le collectif. Le pouvoir se niche parfois dans des endroits insoupçonnés...
Lorsque le service informatique d'une organisation décide des logiciels permis ou autorisés "pour la sécurité", sans aucun débat politique au sujet des outils, on peut penser qu'il s'agit d'un abus de pouvoir... Mais en général, cette question étant considérée comme un débat d'expert auxquels les néophytes informatiques n'ont pas d'idées légitimes à apporter, le débat démocratique n'a jamais lieu. Par contre, les AG d'associations peuvent passer des heures à discuter du choix de la couleur de la salle de réunion...

Tous les sujets ne méritent pas des décisions collectives

  • Il est indispensable que le collectif ne vienne pas brider l'initiative individuelle, mais au contraire l'encourager et l'amplifier.
  • Donner l'illusion de la décision, faire décider de tonnes de détails insignifiants est une excellente stratégie pour éviter de faire décider de l'essentiel....
  • Quelqu'un a dit à propos des actions réversibles : "Si tu demandes à quelqu'un de valider une petite décision, il va se faire un devoir de trouver la petite bête, si tu agis, il te remerciera de l'avoir fait à sa place".


Les sujets critiques impliquent nécessairement décisions collectives
Qu'est-ce qu'un sujet critique ?

  • Cela dépend bien sûr des collectifs ou des organisations, mais on peut penser qu'il s'agit du sujets qui touchent à :
    • L'organisation du collectif ou de la structure (élections des instances décisionnelles, rémunération des salarié.e.s, )
    • Le choix des modes de décisions adaptés aux différents sujets
    • Une décision irréversible (ex : dissolution de l'organisation)
    • ...
  • Quels que soient les sujets estimés critiques, il nous semble en tout cas incontournable de les identifier collectivement et d'y associer des modalités de prises de décision claires.


Identifier les grandes "familles de décisions"
Un collectif peut-être amené à prendre différents types de décision, il est important qu'elles soient identifiées et qu'un process de prise de décision leur soit associé.

Cela peut donner :
les décisions critiques : pour lesquelles on prend le temps de laisser chacun·e y prendre part (élire le Conseil d'administration, engager un budget important, effectuer une embauche...)
les décisions liées à un sujet : qui peuvent être déléguées à une personne, à un groupe de travail, à un rôle... (ex: organiser un événement...)
les décisions du quotidien : elles sont réversibles et je peux les prendre en autonomie pourvu que j'en informe le collectif (réaménager un espace, corriger des fautes sur le site internet...)
  • etc.

Pour nous aider, cette matrice permet de questionner la nature et le caractère collectif d'une décision (issue du Cahier d'activités des Tiers-Lieux).
prise de décision
Une décision collective nécessite du temps, de la réflexion, et surtout un mode de décision explicité
Demander leur avis aux gens nécessite de leur donner du temps et de la matière pour réfléchir et construire leur réflexion. On peut notamment considérer comme une bonne pratique :

  • d'aborder un sujet lors d'une réunion avec des documents, des témoignages, des avis divergents envoyés en amont dans la mesure du possible et reconsultables à l'issue de la réunion,
  • d'organiser un débat en collectif qui permette l'expression et la prise en compte de tous les avis (attention aux questions de prise de parole des plus timides, de ceux qui ne se sentent pas légitimes, des femmes...),
  • puis de laisser du temps (une semaine, un mois) avant de rediscuter du sujet et de voter.

Des décisions toujours rationnelles ? Lors de décisions à l'unanimité, ou par consentement, il est parfois demandé d'avancer des arguments, le plus souvent rationnels. Pourtant, il est possible d'assumer que certains choix relèvent de l'animal en nous, de l'instinct.

Lors de choix par cooptation, des collectifs (dont le nôtre) assument de ne pas recruter de nouveaux membres si quelqu'un "ne le sent pas". Il n'est pas toujours évident de qualifier ou de rationaliser ce ressenti, mais il nous semble aussi valable que des analyses rationnelles sur les stratégies d'acteurs. A ne pas confondre avec les préférences personnelles !

Il est possible de faire le choix de faire valoir à égalité des arguments dits "rationnels" et d'autres plutôt "émotionnels".
Les neurosciences commencent à mettre à jour les notions d'intelligence émotionnelle et la place de nos émotions dans des choix que l'on pense "rationnels" et analytiques. D'ailleurs, un des 6 chapeau de Bono prend en compte cet aspect. C'est la chapeau rouge.
Vidéo du collectif Open Opale.


Changer d'avis : une nécessité
Cela peut paraître une évidence, mais il est possible de prendre des décisions temporaires : tester des options pour les valider ou les invalider. Rien ne vaut les fameux PPPPP : le Prochain Plus Petit Pas Possible.
La question à se poser est alors celle de la réversibilité du choix : pourra-t-on revenir en arrière ?
Il est également possible de tester plusieurs options en parallèle afin de choisir in fine celle(s) qui fonctionnent le mieux. Dans une société d'abondance (d'informations, d'outils....), il n'est pas forcement nécessaire de ne conserver qu'une seule option.



La gestion par consentement  pour décider collectivement  

Avec quatre autres coéquipiers de Florès, j’ai eu l’opportunité de participer à l’Atelier Du Nous. C’est un séminaire expérientiel de plusieurs jours, permettant d’explorer le faire-ensemble. Ce séminaire est appelé « voyage  du JE au NOUS » par les membres de l’association de l’Université du Nous qui l’organisent. L’objectif ? Faire découvrir à un groupe d’une quinzaine de personnes ne se connaissant pas, les clefs pour mettre en place une gouvernance partagée autour d’un projet commun. Le tout, en alternant des temps d’apprentissage théoriques, des temps de pratique, des temps informels et interludes sensoriels. De ce que j’ai appris concernant la gouvernance partagée – ou la capacité à prendre des décisions en groupe – j’aimerai vous parler de la méthode GPC : Gestion Par Consentement.  
Décider à plusieurs : se mettre d’accord sur une méthode 

Il existe plusieurs méthodes aidant à mettre en œuvre une décision collective :  

le vote majoritaire 
le consensus 
le consentement  

Le consensus correspond à la solution qui satisfait les attentes de tous les participants à la prise de décision, c’est-à-dire, à la recherche d’un accord unanime (= tout le monde dit OUI). Le consensus peut mener à des points de blocages, des conflits et des jeux de pouvoir. 

Au contraire, le consentement permet de voir le problème autrement : et si nous laissions un membre proposer une solution, pour la retravailler en groupe jusqu’à ce qu’aucun participant n’ait plus d’objection (= plus personne ne dit NON) ? 
Méthode de gestion par consentement 
La Gestion Par Consentement consiste en plusieurs étapes :  
Ecoute du centre  

Il s’agit d’un tour de parole pendant lequel chaque membre exprime ses attentes, ses préférences, ses limites et ses idées permettant de répondre au sujet / à la problématique préalablement défini.e. Chacun est totalement souverain : le participant est responsable de ce qu’il souhaite partager, il parle de lui-même (il utilise le pronom JE), il n’a pas peur du jugement d’autrui et d’être en désaccord avec les autres. Ce temps de parole doit être équitable en temps, pour tous. La règle est simple : j’ai un temps pour m’exprimer. Le reste du temps j’écoute l’autre. Il s’agit d’une écoute active, pour essayer de comprendre les autres participants. 
Elaboration d’une proposition écrite 

Selon la complexité du problème à résoudre, une ou plusieurs personnes inspirées peuvent – après avoir entendu les attentes de chacun – se porter volontaire pour avancer une proposition répondant à la problématique. Ils sont alors proposeurs. Il n’est pas nécessaire de satisfaire les attentes de chacun : cela serait contre-productif, car quasi impossible ! Le résultat n’en serait qu’une proposition pauvre et peu impactante correspondant au plus petit dénominateur commun des envies de chacun (dérive du consensus). En se positionnant de manière neutre vis-à-vis des idées et besoins énoncés, on peut proposer une des options possibles permettant de répondre à la problématique. Cette proposition doit être simple, précise et argumentée.  
Clarification 

Une fois que le proposeur a exposé son idée, un tour de parole permet aux autres membres du groupe de faire des demandes de clarification. Le proposeur réexplique alors, argumente ou précise sa proposition. 
Amendements 

Cette étape consiste à modifier, ajouter ou retirer certains éléments de la proposition. Chaque membre du groupe peut réagir à la proposition : atouts de l’idée, freins et peurs, nouvelles idées, intuitions, etc. 
Objections  

Un tour de parole permet ensuite à chacun de dire s’il a une objection sur la proposition retravaillée. Il s’agit de mettre en lumière, de manière raisonnable et argumentée, les risques que soulève la proposition. Timing serré pour la mettre en place, manque de ressources, etc.
Dans ce travail, chacun est souverain de s’exprimer. Il est important et valorisé car il permet d’aboutir à une décision qui respecte les limites de ceux qui en vivront les conséquences (bien qu’il ne s’agisse pas de la solution préférée de chaque individu). Il se peut aussi que l’objection élimine la proposition, celle-ci étant jugée impossible.  
Bonification  

Il s’agit de traiter 1 à 1 les objections évoquées. La discussion est ouverte, collective et créative. Si celui qui a émis une objection a une solution à apporter, le proposeur la prend ! Il se peut qu’après avoir retravaillé et bonifié la proposition, de nouvelles objections émergent (incohérences, manque de précision, etc). Le même travail s’effectue par itération. 
Célébration 

Lors du dernier tour d’objections, si plus aucun membre du groupe n’a d’objection raisonnable, cela signifie que la proposition est validée par l’ensemble du groupe. L’équipe peut se féliciter d’avoir réussi à élaborer cette solution !  

Pour vivre une gestion par consentement en chair et en os, vous pouvez visionner ce film, réalisé par l’Université du Nous.
Trucs et astuces pour mettre en place la gestion par consentement

  • Les membres du groupe sont positionnés en cercle, ce qui permet à chacun d’occuper la même position (pas de hiérarchie), de voir les autres et de se partager l’initiative. 

  • Des règles établies par et pour l’ensemble du groupe (bienveillance, souveraineté, prise de parole concise ponctuée de « j’ai fini »), permettent d’établir un cadre rassurant dans lequel tout le monde pourra s’exprimer.  

  • Pour gérer au mieux cette méthode de prise de décision collective, il est indispensable d’identifier dans ce cercle une personne ayant le rôle de facilitateur, qui veille au respect par le groupe des règles de gouvernance (gestion de la parole, recentrage des échanges) et des processus opérationnels (timing, étapes du processus). Cette personne est extérieure au groupe dans le sens où elle n’intervient pas pour donner son avis ou émettre des objections. Elle arbore une posture neutre et diplomate. 

La méthode de gestion par consentement, une fois maitrisée, permet de gagner en efficacité sur la prise de décision en groupe. En effet, il arrive bien trop souvent que certains membres n’arrivent pas à s’exprimer, d’autres se renvoient la balle, que le groupe n’arrive pas à se mettre d’accord, que personne n’ose trancher, etc. Avec cette méthode, UNE solution est proposée par un membre, avant d’être améliorée de manière itérative et collective afin d’aboutir à LA BONNE solution.